Dès le dimanche matin, je me suis installé sur la place de la mairie de L’Aiguillon-sur-Mer, avec le centre des opérations de sécurité, après avoir passé une grande partie de la nuit au centre opérationnel de défense que j’avais mis en place à La Roche-sur-Yon. Les instants les plus poignants, les plus épouvantables, ont été les premières annonces faites par les pompiers grelottants dans leur tenue de plongée. C’est là qu’on nous a annoncé la découverte des premiers cadavres de gens piégés dans leur maison, notamment des personnes âgées. L’association d’aide à domicile en milieu rural nous a alertés. Une dame, par exemple, nous a avertis du sort de six personnes âgées grabataires qu’elle avait couchées la veille au soir et qui ont été littéralement piégées dans ces lotissements catastrophiques. Je garde à la fois le souvenir de l’héroïsme des pompiers, des gendarmes, des bénévoles…, de cette chaîne de solidarité qui s’est mise en place et en même temps, de l’ampleur du désastre, avec au final 54 morts, dont 29 à La Faute-sur-Mer. C’est l’événement le plus tragique de ma carrière, qui me hante et me hantera encore des années, comme tous les sauveteurs.
Un début de polémique est né autour de l’idée qu’il aurait fallu évacuer les habitants des zones inondables. Qu’en est-il ?
Certains ont effectivement voulu faire naître une polémique absurde, qui est d’ailleurs très vite retombée. L’idée d’une évacuation est une vraie fausse bonne idée et vient de gens qui ne connaissent rien au concept d’alerte rouge. Il y a une inculture du risque effarante de nos compatriotes en métropole. En outre-mer, la culture de l’alerte rouge a une vraie valeur. Ici, je me suis aperçu avec horreur que l’on avait beau seriner aux gens l’alerte rouge, ils n’en tiennent pas compte. Certains maires n’ont même pas accusé réception de nos messages d’alerte pourtant répétés. Nous n’avons d’ailleurs reçu aucun appel au secours d’aucun élu dans la nuit du samedi au dimanche. De toute façon, il aurait été très difficile d’organiser même des évacuations partielles en pleine nuit avec des vents de 130 km/h. On aurait risqué d’accroître le nombre de victimes et mis en péril les sauveteurs. Aucun des plans de prévention des risques d’inondation ne comporte un volet évacuation. La feuille de route que nous a fixée le président de la République comporte d’ailleurs l’idée d’une réflexion sur ce sujet.
Votre rôle a été essentiel lors des premiers jours. J’imagine qu’il reste un énorme travail à faire ?
Il est évident que ma mission en Vendée a changé de nature le 27 février. Actuellement, je travaille à 98 % de mon temps sur les suites de la tempête. Ce pourcentage va diminuer mais je n’imagine pas, même si je devais rester trois ou quatre ans aux commandes de la Vendée, que ça descende en dessous de 50 % à 60 %. Il y a d’abord un travail énorme qui porte sur les destructions-reconstructions, sur les évacuations des zones du domaine public qui ont parfois été construites de façon totalement illégale. Il faut absolument détruire les constructions qui n’auraient jamais dû être faites dans ce que j’appelle « la cuvette de la mort » à La Faute-sur-Mer et dans les zones inondables où les prescriptions n’ont jamais été respectées. Mais il faut que ces opérations se fassent sans spolier les personnes qui, soit de bonne foi, soit en prenant des risques, ont mis toutes leurs économies dans ces constructions. Il faut savoir qu’il y a plus de mille habitations sinistrées, 773 personnes ont été évacuées.
Se pose également le problème des digues. Certaines qui protégeaient des terres agricoles ont été rompues. Du coup, plus de 12.000 hectares ont été touchés et sont imbibés d’eau salée ; 192 exploitations agricoles ont été touchées, ainsi que 117 entreprises. Sans parler des zones ostréicoles des marais poitevin et breton. Nous devons également définir quelle politique du littoral on veut mener. Nous avons 276 km de littoral en Vendée. Je dis que sur ces portions du littoral que le président de la République a décidé de soustraire à l’urbanisation, il faut que la nature reprenne ses droits. Je préconise que le conservatoire du littoral, s’il en a bien les moyens comme je l’espère, rachète ces espaces et les rende à la vie naturelle.
Cette nouvelle philosophie de l’urbanisation et de la politique du littoral va nécessiter de la fermeté de la part de l’État…
Je puis vous assurer que ma détermination et mon volontarisme sont très offensifs. D’autant plus offensifs après les déclarations du président de la République à La Roche-sur-Yon. Il prend le risque de l’impopularité et je m’associe à cette prise de risque pour la sécurité de nos concitoyens. Je ne confonds pas tous les maires de ce département et il ne s’agit pas d’accabler une catégorie de responsables, mais il faut que l’État régalien assume, peut-être avec impopularité, mais avec détermination, son devoir aujourd’hui. Il n’y a d’ailleurs qu’une minorité d’élus qui a été aveuglée, qui s’est laissée berner par les mirages mortifères de la spéculation immobilière. Je l’ai dit à Dreux, je l’ai dit à Châteaudun, je le redirai en Vendée : l’État doit être impartial, volontariste, il doit être aux côtés de maires pour les aider et non les accabler. Mais il doit s’exprimer avec vigueur et faire respecter la légalité. Je n’en dévierai pas !
Quelques dates
Jean-Jacques Brot est né en 1956. Il a pris ses fonctions de préfet d’Eure-et-Loir en octobre 2007, alors qu’il arrivait de la préfecture de Guadeloupe. Il est resté 28 mois en Eure-et-Loir avant de prendre ses fonctions de préfet de Vendée, le 15 février, à la Roche-sur-Yon.
Une carrière dans le monde entier
Jean-Jacques Brot est énarque, il a commencé sa carrière dans la diplomatie avant de rejoindre le corps préfectoral. Il a connu notamment la Guadeloupe et Mayotte et a été un proche collaborateur de Jacques Chirac.
Il ne le cache pas. Toutes les nuits, les images de la catastrophe lui reviennent en mémoire et il lui est bien difficile de trouver le sommeil. Il évoque ce « mystère de l’iniquité face à la mort dont Mgr Castet parlait lors de la messe en mémoire des victimes en la cathédrale de Luçon ». Ce mystère « qui me hante ».
Si sa conscience aiguë de la nécessité d’un État très présent aux côtés des victimes l’aide à tenir, Jean-Jacques Brot évoque également le soutien indéfectible de son épouse et les nombreux messages d’amitié qu’il a reçus du monde entier. Des lettres, des mails, d’Afrique, des États-Unis, de Mayotte…, mais aussi de la part des amis qu’il a laissés en Eure-et-Loir. « J’ai reçu des témoignages de soutien de mes amis juifs, musulmans, chrétiens euréliens. Des témoignages de prières que je reçois dans un esprit de laïcité ouverte et qui m’ont beaucoup touché. »
Il se souviendra aussi longtemps de ce moment très fort quand, au coeur du désastre, il a retrouvé les sauveteurs de la sécurité civile de Nogent-le-Rotrou. Des visages connus « qui m’ont fait chaud au coeur ».
6 réponses à to “Un entretien avec Jean-Jacques Brot, préfet de Vendée et ancien préfet d’Eure-et-Loir (Larep.com)”
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où est passé mon commentaire: « la double peine des habitants de la faute sur mer »?
Mr le Prefet essaye de faire oublier sa GROSSE part de responsabilité; en effet il est normalement entouré des compétence qui lui permet de juger à temps utile tout dispositif d’évacuation. Et pourtant il n’a rien fait. On voit actuellement qu’il a plein de possibilité: raser les maisons, exproprier les habitant…etc..etc; alors pourquoi montrer du doigt uniquement la commune et les elus ….???????
à julie
J’ai déjà commenté le rapport… je ne vois pas comment un Maire peut se soustraire aux obligations mentionner dans ce texte compte tenu de la procédure à respecter par ce dernier ! Expliquez moi ! ! !
LB
Mais oui vous avez raison,
J’ai relu mon acte d’acquision du terrain (1998) rien n’y est inscrit.
Aucune obligation à l’époque.
Et aujourd’hui je suis responsable d’avoir acheté à cet endroit ! De qui se moque-t-on ! ! ! !
Je vous trouve bien sévère vis à vis d’un préfet qui vient d’arriver dans le département. La DDE avait prévenu,M Raison avait tiré toutes les bonnes conclusions des études mais comment aller à l’encontre d’un Maire élu par ses concitoyens avec une forte majorité? Il faudra revoir les attributions des élus communaux, c’est certain. Un incapable ayant le soutien de sa commune peut la mener au désastre. Pour le moment, j’ai une seule demande à faire au préfet : mettez notre Maire sous tutelle, il est en train de disjoncter et continue de faire n’importe quoi. Ne nous abandonnez pas!
M Le Préfet, il faut assumer !
Je lis avec un certain effarement votre interview. J’avais trouvé votre empressement à incriminer les seuls élus locaux un peu précipité. S’il n’y a pas de culture du risque ici, si les gens ne comprennent rien à une alerte rouge comme vous le dites, si les municipalités n’ont pas réagi aux alertes que vous leur avez envoyées, qu’est-ce qui vous empêchait de saisir les médias pour conseiller aux populations d’évacuer les lieux? Et sans attendre la veille? . La tempête était certaine et annoncée par Météo France 5 jours avant son arrivée, avec une précision stupéfiante. On est encore une fois dans cette insupportable partie de ping-pong ! C’est pas moi c’est l’autre! Que dire de vos services qui pouvaient bloquer le PLU de la commune? Que dire de la DDE qui éditait de superbes rapports pour indiquer que cette zone était la plus dangereuse de Vendée et en même temps délivrait des permis de construire par centaines? Que dire des élus locaux qui urbanisaient à tout va en croisant les doigts pour que la digue tienne et qu’un événement comme celui que nous venons de vivre ne se produise pas? Nous les sinistrés avons le sentiment d’avoir à faire à des irresponsables qui chacun à leur poste ne s’attachent qu’à renvoyer la responsabilité sur d’autres.
Et encore, quand on ne nous met pas en position d’accusés. Oui vous les propriétaires qui avez été assez stupides pour construire en zone inondable, et bien il faut assumer maintenant!! Voilà ce que j’ai pu entendre à plusieurs reprises. Nous aurions du être plus clairvoyants que les élus locaux ou les spécialistes qui étaient chargés de gérer ces dossiers et de veiller à la sécurité des populations. M le Préfet, permettez-moi de vous dire mon écœurement!