Un mois après la tempête XYNTHIA, le Préfet de Vendée, parcourant les digues de la Faute sur Mer fait une constatation amère : « des permis de construire ont été délivrés là où ils n’auraient jamais du être délivrés ». Remarque d’évidence, relayée par la DDE de Vendée qui met en avant un rapport rendu public en octobre 2008 qui avait clairement mis en exergue les risques de submersion pour 3 000 maisons de la Faute-sur-mer, bâties derrière des digues qui ne donnaient que l’illusion d’une protection. La DDE de Vendée affirmait ainsi dans ce rapport que la commune avait été construite « sur de vastes espaces gagnés sur la mer, ne tenant pas compte de la mémoire du risque ». Et les services de l’Etat de dire haut et fort qu’ils avaient mis en garde la commune concernée, restée sourde face aux enjeux économiques et sociaux liés à l’urbanisation de ces espaces.

Sans attendre, l’Etat a usé de ses pouvoirs régaliens et a institué, autoritairement et sans la moindre concertation préalable, une nouvelle catégorie de zones à risques, à savoir des « zones noires » où les constructions incluses dans ce périmètre devraient être, tôt ou tard, vouées à la démolition.

L’Etat apparaîtrait ainsi comme le seul à même à faire prévaloir l’intérêt public, la sécurité des biens et des personnes, face aux dérives de la décentralisation et aux aménagements totalement irraisonnés autorisés par des élus locaux.

Cette présentation est réductrice, et nécessairement trompeuse.

Certes, depuis les lois de décentralisation en matière d’urbanisme, les communes disposent de la possibilité de mettre en place sur leur territoire un document d’urbanisme (POS/ PLU), par lequel elles vont décider de l’aménagement de l’urbanisation du territoire communal. Si elles bénéficient en la matière d’un assez large pouvoir discrétionnaire, l’article L. 110, premier article du Code de l’urbanisme, assigne néanmoins aux collectivités publiques le but « d’assurer la protection des milieux naturels et des paysages ainsi que la sécurité et la salubrité publiques ». Pour ce qui est précisément des documents d’urbanisme, l’article L. 121-1 du Code de l’urbanisme prévoit notamment que les Plans Locaux d’Urbanisme doivent déterminer les conditions permettant d’assurer « …la prévention des risques naturels prévisibles, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ».

Aussi, dans la délimitation des zones constructibles et non constructibles, la collectivité locale doit dans son document d’urbanisme, prendre nécessairement en compte l’existence d’un risque d’inondation ou de submersion. Le règlement du document d’urbanisme peut aussi (et même doit), dans des secteurs sujets à un risque identifié, édicter des règles particulières de nature à assurer une meilleure protection des personnes et des biens.

Conséquence importante de l’existence d’un document d’urbanisme, le pouvoir de police (c’est-à-dire la possibilité de délivrer ou de refuser des autorisations d’urbanisme) est transféré au Maire qui agit au nom de la commune (en l’absence d’un tel document, le pouvoir de police est exercé par le Maire mais au nom de l’Etat).

Le Maire peut alors à cette occasion, et alors même que le PLU autoriserait la constructibilité du terrain d‘assiette concerné sans la moindre réserve, édicter des prescriptions particulières s’il est informé de l’existence d’un risque au droit de ce terrain. C’est l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme qui dispose que : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte (…) à la sécurité publique du fait de sa situation (…) ».

On ne peut à ce sujet qu’être frappé lors de la diffusion d‘images des lotissements les plus touchés par la tempête XYNTHIA, de constater que la plupart de ces maisons d’habitation sont construites de plain-pied. Ce type d’habitat interdit aux occupants de trouver un niveau « refuge » et d’accéder plus facilement aux toitures. Il semble que dans les règlements d’urbanisme concernés, on ait privilégié l’aspect esthétique des constructions, en imposant un type de construction traditionnel, sans étage, afin de favoriser l’insertion des constructions nouvelles dans le paysage existant. Autrement dit, il semble que l’insertion des constructions dans le paysage et l’unité architecturale aient été des objectifs qui ont prévalu sur les règles de sécurité, ceci mettant en exergue le fait que le PLU doit centraliser plusieurs objectifs et finalités qui peuvent s’avérer contradictoires.

Les communes apparaissent ainsi a priori comme étant placées au premier rang des personnes responsables de cette situation.

Cependant, c’est oublier un acteur essentiel dans la politique de l’urbanisme mais aussi et surtout dans la politique de prévention des risques que les lois décentralisatrices n’ont pas fait disparaître et que les législations successives en matière de risques n’ont fait au contraire que renforcer : l’Etat.

L’Etat a en effet une obligation d’information des Maires sur les risques présents sur leur commune. Il doit élaborer le « porter à connaissance » des risques et pour cela, réaliser le Dossier Départemental des Risques Majeurs (DDRM), qui décrit, commune par commune, les risques, leurs conséquences prévisibles, ainsi que les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde prévues dans le Département pour en limiter les effets. Aussi, et si comme cela a été dit, l’élaboration du PLU incombe dans une large mesure aux acteurs locaux, il n’en demeure pas moins que tout au long de ce processus d’élaboration, l’Etat est là pour veiller, au travers du « porter à connaissance » que le document local intègre bien l’existence des risques (mais aussi les législations de valeur « supérieures » applicables à certains territoires particuliers, comme la loi littoral qui n’autorise normalement, dans les espaces proches du rivage que l’urbanisation limitée et en continuité des constructions existantes). C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier à sa juste valeur la déclaration du préfet de Vendée qui « tombe des nues devant l’incohérence des plans d’urbanisme »…

L’Etat a aussi la responsabilité de définir les règles d’urbanisation dans les zones inondables par l’intermédiaire des Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN). Il est également responsable de la police de l’eau. A ce titre, il doit faire assurer le libre écoulement, et la sécurité des digues de protection contre les crues, qu’elles lui appartiennent ou non, et mène une action nationale de recensement et de contrôle des digues intéressant la sécurité publique.

Le Préfet a également pour mission de veiller au maintien de l’ordre public et à la sécurité des personnes et des biens à l’échelle du Département. A ce titre, il devient Directeur des opérations de secours en cas d’inondations qui dépassent les limites d’une seule commune. Il arrête le Plan d’Organisation des Secours Départemental (ORSEC), ainsi que les Plans de Secours Spécialisés.

Dans un tel environnement juridique, il est là encore difficile de comprendre la déclaration du Préfet de Vendée qui regrette que « l’établissement des deux plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) aient été retardés dans les deux communes » (commune de la Faute-sur-mer et commune de l’Aiguillon sur mer), alors que l’initiative de la prescription du plan, comme la responsabilité de son élaboration reviennent au Préfet et qu’il dispose même de la faculté de rendre immédiatement opposables certaines de ses dispositions, avant même d’avoir réalisé l’enquête publique préalable (article R. 562-6 du Code de l’urbanisme).

Il a ainsi été jugé que le retard apporté à la délimitation des zones exposées aux risques naturels engage la responsabilité de l’Etat à qui il incombe de prendre les mesures imposées par la législation de l’urbanisme (CAA BORDEAUX 8 février 1996 MIQUEL/ commune FOURQUES req. n° : 95BX00049).

Le PPRN est donc d’importance et constitue le seul véritable instrument de nature à prendre en considération les risques. Il présente également l’avantage de s’imposer aux documents d’urbanisme locaux qui doivent impérativement en reprendre les dispositions. Un plan d’urbanisme qui ignorerait le risque d’inondation, et déclarerait par exemple constructible un terrain manifestement inondable engagerait la responsabilité de la commune, et pourrait également entraîner celle du Préfet au titre du contrôle de légalité.

Car en effet – et cela a été très largement occulté dans tout le débat médiatique qui a suivi cette catastrophe- les lois de décentralisation en matière d’urbanisme, si elles ont eu pour effet dans les conditions exposées ci-dessus de permettre aux élus locaux d’exercer le pouvoir de police en matière d’urbanisme et de décider de l’organisation des modes d’occupation sur leur territoire- elles n’ont pas eu pour effet cependant de leur transférer les pleins pouvoirs et dans cet exercice les élus locaux sont dans une situation de « liberté surveillée ». C’est ainsi que la grande majorité des décisions prises en matière d’urbanisme, qu’il s’agisse notamment de la délibération du Conseil municipal décidant de l’approbation du PLU mais aussi et surtout de tous les arrêtés municipaux portant octroi ou refus de permis de construire, sont soumis au contrôle de légalité c’est-à-dire qu’ils font l’objet d’une transmission obligatoire auprès des services de l’Etat, pour vérification de leur régularité.

On ne peut donc que rester circonspect face à la critique du représentant de l’Etat portant sur la délivrance de permis de construire derrière les digues de la Faute-sur-mer…Le retour en force de l’Etat avec l’instauration de « zones noires » ne doit pas faire illusion : il trahit vraisemblablement un laxisme dans la mise en œuvre de la politique de prévention des risques et dans l’exercice des garde-fous mis en place par les lois décentralisatrices qui auraient peut-être permis de lutter plus efficacement contre l’urbanisation de ces espaces autrefois constitués de fanges et marais.

Contact : larrouy-castera@loyve-avocats.com

8 réponses à to “Tempête XYNTHIA : zones d’ombres autour du rôle de l’Etat (loyve-avocats.com)”

  • BILDAN says:

    @LOUTRON

    Merci pour tous les éclaircissements.
    Ma crainte est que comme la pibale le maire passe à travers les mailles…
    L’exemple de 2003 n’est pas rassurant, parce que le parc résidentiel de loisirs au lieudit La Vieille Prise a bien été « mouillé » je crois…

  • Loutron says:

    Pour compléter, quelques éléments de chronologie :
    – 29/11/2001 : prescription d’un PPRI de l’estuaire du Lay (Vacher) ;
    – 2002 : Atlas des zones inondables du département de la Vendée (Vacher) ;
    – 2003 : Publication du dossier départemental des risques majeurs ;
    – 26/08/2005 : Mise à jour du dossier départemental des risques majeurs ;
    inondation terrestre et maritime, mouvement de terrain, sismique, feu de forêt (Decharrière)
    – 8/06/2007 : Application anticipée des dispositions du PPRI (Decharrière) ;
    – à partir de 2007 : le préfet Lataste défère des permis de construire litigieux déféré au tribunal administratif et refuse des demandes d’aménagement de lotissement basée sur des remblaiements de marais.

  • Jean-Pierre says:

    @ bildan
    Fô pas oublier les « POS » de limonade à la buvette… il est en forme bildan…!!!

  • Loutron says:

    Faire remonter le calendrier des responsabilités jusqu’à 1982 ne me semble pas pertinent, parce que les atlas des zones inondables réalisés dans les départements par les services de l’État ne datent que de 2002, et parce qu’avant cette époque, lesdits services pouvaient « encaisser » des jurisprudences négatives : voir cet arrêt du Conseil d’Etat http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000007541421&fastReqId=134731293&fastPos=5

  • bildan says:

    Trop vite, pas relu. Pardon.
    7 s à mettre où il en manque
    1 du pour le de nombre
    1 é pour un er
    et pour le reste mes excuses

  • BILDAN says:

    S’il est effectivement de la responsabilité de l’état de définir les plan de prévention des risques.
    Il n’en demeure pas moins que l’état doit assumer complètement ses choix. Comment peut-on envisager que l’état accepte que des citoyens puissent continuer à habiter dans des zone que lui , l’état, a défini comme présentant un danger extrême.
    Que l’état impose des règle en matière d’urbanisme pour des zones susceptible d’être inondée est une chose, tant qu’il s’agit d’une hauteur d’eau attendue inférieure à 1m. Mais accepter l’idée que des personnes puissent continuer à vivre dans des zones où l’inondation possible conduise à des hauteur d’eau de plus d’un mètre cela me semble anormal.
    Or, il existe à la Faute de très nombreuses maisons ayant eu plus d’un mètre d’eau et ce même en dehors des zones de solidarité.

    Je reste persuadé que les assureurs connaissent, ou ont pu avoir connaissance, le nombre de maisons ayant subi des dégâts lors de xynthia, ainsi que la hauteur d’eau ayant affectée ces maisons sinistrée. (C’était sans doute trop simple de demander cette liste aux assureurs…)

    Sans apporter aucune excuse au maire de La Faute, il faut savoir que ce dernier s’est toujours appuyer sur un POS de 1984 établi avant sa première élection.
    Que depuis cette première élection en 1989, 11 préfets se sont succédés à la tête du département de Vendée.

    Jacques Roynette 11 septembre 1989
    Bernard Raffray 7 octobre 1991
    Jean-Yves Audouin 11 mai 1992
    Philippe Callède 17 janvier 1994
    Pierre Mirabaud 19 février 1996
    Paul Masseron 8 juin 1998
    Jean-Paul Faugère 3 septembre 2001
    Jean-Claude Vacher 15 juillet 2002
    Christian Decharrière 10 janvier 2005
    Thierry Lataste [1] 4 juillet 2007
    Jean-Jacques Brot[2] 20 janvier 2010

    Bien sur, il était de son intérêt (au maire de La Faute), que rien ne change. C’est dans les vieux POS qu’on fait les bonnes Soupes…

    Pourquoi se fatiguer à créer un PLU, pourquoi accepter un PPRi qui viendrait réduire le POS aux Roses… SURTOUT QUAND PERSONNE NE L’Y OBLIGE.

  • souris says:

    Document tres complet et interessant!

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