«Ils savaient. Ils savaient depuis le début qu’ils risquaient nos vies. Et il nous ont utilisés.» Il est presque 20 heures, ce lundi soir, à la première interruption d’audience du procès Xynthia, quand les parties civiles sortent prendre l’air quelques minutes sur le parvis du Centre de Congrès, sonnées. Une femme secoue la tête. «Je n’aurais pas imaginé que c’était à ce point. Qu’ils étaient tous au courant qu’on pouvait mourir noyés.»

Depuis deux heures environ, le président a entamé la lecture d’un résumé des faits et de l’instruction. Le contenu est accablant pour les cinq prévenus. Schémas, graphiques et documents projetés sur grand écran à l’appui, le magistrat détaille comment René Marratier, maire de la Faute-sur-Mer de 1989 à 2014, s’est délibérément opposé à toutes les tentatives de la préfecture de faire établir un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) et un plan d’organisation des secours. Comment sa première adjointe, Françoise Babin, a signé des permis de construire irréguliers, sachant qu’ils concernaient des zones hautement inondables. Comment le fils de cette dernière, Philippe Babin, a profité de transactions fructueuses en vendant ces terrains devenus constructibles via son agence immobilière, et a négligé de surveiller la digue de protection dont il était propriétaire. Comment un quatrième homme, Patrick Maslin, ami des trois précédents et également adjoint au maire, a ensuite construit les maisons, sans étage et sans surélévation bien que situés dans une «cuvette» creuse sous le niveau de la mer et donc hautement exposée.

Tous les quatre, ainsi qu’un fonctionnaire départemental, sont poursuivis pour homicides involontaires. Tous les quatre connaissaient l’ensemble des 29 personnes mortes noyées dans la nuit du 27 au 28 février 2010. «Ils nous ont manipulés !»,s’emporte Thierry, 40 ans, instituteur. A 4 heures du matin, cet habitant de la Faute-sur-Mer a réussi à sauver la vie de ses deux petites filles de justesse, en défonçant la porte de leur chambre où elles étaient emprisonnées, bloquées par l’eau glacée ayant atteint dans leur maison deux mètres de hauteur. Ensemble, ils ont réussi à nager à travers les pièces et à se hisser sur le toit. Thierry tenant sa femme, qui ne sait pas nager. Ils ont attendu les secours en grelottant pendant de longues heures.

«Jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à ce que j’entende le résumé du président, je culpabilisais, dit Thierry. Je me disais peut-être qu’on a une responsabilité, qu’on aurait pas dû acheter une maison là, qu’on a mis en danger la vie de nos filles. Mais on ne savait rien… Et là je me rends compte que les élus, l’agent immobilier, le constructeur, eux, savaient tout. Ils avaient toute l’information sur les risques d’inondation, depuis le début, bien avant même la vente des terrains ! Et ils nous l’ont délibérément cachée.»

L’audience reprend peu après 20 heures, le président n’a pas encore fini de résumer la longue et minutieuse instruction. Thierry retourne dans la salle, sa colère n’est pas retombée. «Maintenant, dit-il, j’ai envie de savoir pourquoi ils nous ont mis là. Pourquoi, alors qu’ils savaient qu’on allait peut-être mourir, ils nous ont quand même mis là.»

Ondine MILLOT Envoyée spéciale aux Sables d’Olonne