Elle a parlé après son père et sa mère. Droite, dans sa jolie robe rose et son gilet noir, mais agrippée à la barre, la voix coupée de sanglots. Sandrine, 38 ans, est assistante éducative pour des élèves handicapés dans une école maternelle du Val d’Oise. Le soir du 27 février 2010, elle était en vacances à la Faute-sur-Mer chez ses parents, Gérard et Michelle. Avec elle, son mari, Vincent, leur fille Pauline, 6 ans, leur fils Maxence, 3 ans. Tous les six étaient allés dîner au restaurant. Pas «spécialement préoccupés» par la tempête. Se souvenant, comme la plupart des habitants de la Faute, qu’en 1999, il n’y avait eu que quelques bris de tuiles.

«Seule ma fille Pauline semblait un peu inquiète, raconte Sandrine. Elle nous disait: « Qu’est-ce qui va se passer? » On la taquinait: « Les vaches vont voler. » Puis, quand on a vu qu’elle était quand même angoissée, on l’a rassurée. On lui a dit: regarde, le maire aussi dîne dans le même restaurant que nous. S’il y avait un danger pour la ville, il ne serait pas là tranquille à manger.» Par téléphone, Sandrine réconforte sa sœur, qui se soucie de les savoir en «zone alerte rouge» : «C’est comme en 1999, il va rien se passer !» Puis la famille va se coucher dans leur maison du 16 bis rue des Voiliers, un pavillon de plain-pied proche de la digue Est qui borde la rivière Le Lay.

LA MER DANS LA MAISON

A 3 heures du matin, Sandrine est réveillée «par un bruit de glouglou». «Je me suis levée. Il y avait 5 à 10 centimètres d’eau par terre. J’ai appelé mon mari, mes parents.» Sandrine se précipite à la fenêtre. Dehors, près d’un mètre d’eau entoure la maison. Sa mère pousse un cri : en se levant, elle a glissé sur le sol trempé, et s’est fracturé le bras. «Avec mon mari, on a pris les enfants et on les a portés sur la table de la cuisine, pour qu’ils ne soient pas mouillés.» Tandis qu’elle retourne dans sa chambre, pour mettre des affaires en hauteur, Sandrine entend ses enfants hurler :«Maman, la table bouge !» La porte du garage vient d’exploser, la mer a envahi la maison. Tout flotte et se cogne : chaises, bibelots, buffet, frigidaire. «J’ai regardé ma mère. Je lui ai demandé : « Maman, on va mourir ? » Elle m’a dit oui.»

La voix de Sandrine se coupe. Elle pleure. «Mon mari et mon père ont dit : il faut sortir. Je ne sais pas trop bien nager quand j’ai pas pied, alors j’ai confié ma fille à mon père et je lui ai dit : tu ne la lâches pas. Mon mari a pris mon fils.» Dans 1,70 mètres d’eau gelée, en pyjama, les jambes griffées par les objets et les arbustes, les quatre adultes portant les deux enfants nagent jusqu’à une maison voisine. Elle aussi est de plain-pied mais, au milieu de la pièce principale, flotte un canapé. Ils y hissent les deux enfants et la mère de Sandrine, blessée. «A un moment, j’ai essayé d’y aller aussi, je gelais, raconte Sandrine. Mais le canapé a commencé à couler, alors je suis redescendue.» Pour tenir dans l’eau à 5 degrés, Sandrine fait «des mouvements, de la gym, tout en tenant le canapé, qui n’était pas stable».

Elle parle à ses enfants, «pour les garder éveillés, les rassurer, je ne me souviens même plus de ce que je disais, je crois que c’était n’importe quoi». Mais son fils Maxence ferme les yeux, s’endort. «Je lui criais : tu dors pas, tu dors pas. Ça ne suffisait pas alors je lui ai mis des claques. Des petites claques. Ça ne suffisait pas. Alors ensuite des grosses claques.» Sandrine arrache un rideau pour faire une couverture aux enfants. Puis se tourne et voit que son père ne bouge plus. «Il s’était mis en retrait. Je lui criais: « Papa bouge ! Papa, tu réponds ! » Il n’avait que la tête qui dépassait de l’eau. De temps en temps, il faisait un tout petit mouvement, me disait: « Tais-toi ! » Puis il était figé à nouveau.»

BATEAU SAUVETEUR

Dans la salle d’audience, une petite fille et un petit garçon aux jolis cheveux blonds bouclés frottent le dos de leurs grands-parents, de leur père, les embrassent, les serrent. Maxence et Pauline écoutent leur mère pleurer à la barre. Et ils réconfortent le reste de leur famille, qui pleure aussi. «A 6h30, poursuit Sandrine, on a entendu le bruit de moteur d’un bateau. A ce moment-là, mon père ne bougeait plus du tout depuis déjà un moment. Ma mère lui criait : tiens bon, les secours arrivent, ne me laisse pas.» Les pompiers hissent le corps du père de Sandrine, inconscient, dans le Zodiac. Mère et fille continuent leur supplique. Puis ils sont chargés dans le camion de pompiers, le père à l’avant, devant le chauffage. «J’essayais encore de faire des blagues pour mon petit garçon, dit Sandrine. Je lui disais: t’as vu, c’est super, on est dans un camion de pompiers. Ma mère, elle, continuait à crier à mon père : tu ne peux pas nous laisser maintenant, on est sauvés !»

Les pompiers les déposent au restaurant Poséïdon, premier point de regroupement des sinistrés. «Je voulais allumer une bougie pour les enfants, mes mains tremblaient tellement, je ne pouvais pas la prendre.» Juste après l’arrivée, le père de Sandrine, bien que toujours incapable de bouger ou parler, revient doucement à lui.«Je lui disais : « si tu nous entends, remue juste un doigt », et il remuait un doigt.»Quelques instants plus tard, Sandrine l’entend tousser, elle se retourne : «Il s’était levé, les yeux ouverts ! Il était en slip, avec son chéquier à la main, il ne savait pas où il était. Je l’ai pris dans mes bras, on s’est serrés.»

LES DOUDOUS DES ENFANTS

Sandrine pleure à chaudes larmes, toujours agrippée à la barre. «Ensuite mon mari a ouvert son blouson et, à l’intérieur, il y avait les doudous des enfants. Il avait pensé à prendre les doudous des enfants. On s’est pris dans les bras, on pleurait, on se disait qu’on s’aimait.»  Sandrine, son mari et leurs enfants ont quitté les hébergements d’urgence de la Faute-sur-Mer pour rentrer chez eux, dans le Val-d’Oise, trois jours après. «J’appelais mes parents dix, vingt fois par jour, tellement je culpabilisais de les laisser là, sans rien. Ma mère était à l’hôpital, opérée deux fois pour son bras. Mon père ne pouvait pas aller la voir car il n’avait plus de voiture. Il était seul et il pleurait toute la journée. On s’est même demandé s’il avait toute sa tête. Je crois que c’était le choc.»

Trois semaines plus tard, Sandrine, Vincent, Pauline et Maxence sont retournés à La Faute-sur-Mer. Pour voir les parents de Sandrine, et pour montrer aux enfants que l’eau était repartie. «Pendant très longtemps, plus d’un an, les enfants sont venus toutes les nuits dans notre chambre. On avait mis un matelas au pied du lit. Ma fille, ça n’allait pas du tout. Elle a été voir une psychologue et on a compris : elle ne nous croyait plus. Toute cette soirée on lui avait dit qu’il n’y avait rien à craindre, qu’il ne se passerait rien. Et puis il s’est passé ça.»

Ondine MILLOT Envoyée spéciale aux Sables d’Olonne