
Le tribunal correctionnel des Sables d’Olonne s’est déplacé jeudi à La Faute-sur-Mer, à l’endroit où 29 personnes sont mortes noyées dans la nuit du 27 au 28 février 2010.
Au milieu des herbes hautes, sous le vent léger et le soleil radieux, quatre piquets. Ils sont reliés par des rubans plastiques zébrés de rouge et de blanc, tendus pour matérialiser les «murs des maisons». Un panneau près du sol dit qui est mort là.«Monsieur Tabary et son petit fils, 60 ans et 2 ans.» Planté au milieu, un poteau marque deux repères. En rose, la hauteur du plafond. En jaune, celle atteinte par l’eau. Parfois, il n’y a que quelques centimètres d’écart. Parfois, c’est la même hauteur.
Jeudi, le tribunal correctionnel des Sables d’Olonne a effectué ce que la justice appelle un «transport sur les lieux». Dans une procession inédite à La Faute-sur-Mer, les magistrats en tête, suivis par les prévenus, puis par la longue cohorte des parties civiles, ont arpenté ce qui était des lotissements et n’est plus qu’un champ d’herbe et de gravats. Ici 29 personnes sont mortes dans la nuit du 27 au 28 février 2010, noyées dans la montée des eaux provoquée par la tempête Xynthia. Quatre responsables locaux sont poursuivis pour «homicides involontaires» : l’ancien maire de la commune, René Marratier, sa première adjointe et présidente de la commission d’urbanisme, Françoise Babin, le fils de cette dernière, agent immobilier, Philippe Babin et un entrepreneur du bâtiment de leurs amis, Patrick Maslin. Chacun dans leur fonction, ils n’ont cessé d’œuvrer pour que la zone, pourtant répertoriée comme à haut risque d’inondation, soit urbanisée de la manière la plus rapide et la plus dense possible.
Ils marchent devant avec leurs avocats, masse compacte et hâtive en costumes sombres, tandis que les parties civiles, en vêtements clairs ou colorés, cheminent doucement, s’arrêtent devant les panneaux signifiant les décès, marquent un silence. Le cortège s’engage sur la «digue Est», et le mot, qui revient en boucle depuis le début du procès, semble soudain tout à fait incongru. Un talus, à la limite, mais une «digue» ? L’ouvrage a pourtant été élargi de plus de deux mètres et rehaussé d’un mètre, comme le montre un marquage au sol. Mais même ainsi, il paraît vraiment bas. Et les eaux de l’estuaire de la rivière Le Lay, vraiment près. Ce sont elles qui l’ont submergée dans la nuit du 27 au 28 février 2010. Dans la zone qu’on appelle la «cuvette», parce que particulièrement creuse, un panneau signale la maison de la famille Bounaceur, avec seulement les âges des victimes : «73 ans, 43 ans, 13 ans, 4 ans». Elle était construite de plain-pied, comme presque toutes les autres. Le poteau jaune et rose indique que les flots ont atteint le plafond.
«C’est dur, dit une dame âgée en larmes, être ici, cela fait aussi revenir les bons souvenirs.» Nicole a perdu sa fille et son gendre. «Par là, montre-t-elle, j’allais promener leur chien. J’aimais beaucoup leur rendre visite. Ils étaient heureux. Ils avaient quitté Orléans pour réaliser leur rêve : vivre au bord de la mer.» Nicole voulait témoigner au procès mais son fils le lui a déconseillé. Elle regrette. «Cela m’aurait fait du bien. En écoutant les survivants, j’ai compris ce qu’ont pu vivre ma fille et mon gendre. Ils se sont battus… Leurs voisins les ont vus accrochés à leur gouttière. Après la tempête on est restés deux jours sans savoir ce qui leur était arrivé. On appelait toutes les heures le centre de crise, mais ils n’étaient pas encore sur la liste des décédés.»
Un peu en arrière, Thierry Berlemont, l’instituteur qui a sauvé de justesse ses deux filles adolescentes de la noyade (Libération du 15 septembre), pointe du doigt sa«maison» : «c’est le tas de gravats.» Lui-aussi a des «bons souvenirs» qui remontent malgré lui : «Par là, on allait à la plage. Là, près du port, mes filles ramassaient des crabes. Moi je pêchais dans le petit ruisseau. On a vécu ici 13 ans sans se douter de ce qui pouvait nous arriver. Je viens de la région des Sables d’Olonne, il y a beaucoup de talus comme celui-ci et pour nous c’est clair : petite digue veut dire petit risque. Quand on a acheté, ils nous l’ont répété : aucun danger, vous êtes protégés. Et encore, depuis, ils l’ont rehaussée. Ils ont fait une protection une fois que tout le monde était mort.»
A lui comme aux autres, les journalistes demandent si c’est «une bonne chose» que le tribunal ait fait ce déplacement. «Que les prévenus viennent, répond-t-il avec sa colère, cela ne change rien, ils connaissent par cœur. Mais que le tribunal sente cette impression de calme, de sérénité ça, oui. Le jour de Xynthia, il faisait beau comme ça. Et la nuit, vous vous retrouvez dans l’eau noire, gelée, prisonniers comme des rats, avec tout qui se fracasse, les cris de terreur.»
Au bout de la digue, alors que le niveau du terrain remonte sensiblement, se trouve un petit groupe de belles demeures que les démolitions ont épargnées. «Là, il n’y a pas eu d’eau», dit Thierry Berlemont. Là se trouve la maison de Philippe Babin, l’agent immobilier qui a vendu aux victimes les terrains. «Sur le point le plus haut.»
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VIDEO. Procés Xynthia : le tribunal se déplace sur les lieux de la catastrophe (La Nouvelle République)
http://video-streaming.orange.fr/actu-politique/video-proces-xynthia-le-tribunal-se-deplace-sur-les-lieux-de-la-catastrophe_20085494.html?p=9&s=recentes