«Des familles ont été détruites. Des vies ont été gâchées. Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à mes deux enfants, à ma femme, à ma mère. Je n’ai aucune haine. Mais la justice doit faire son travail pour que des choses pareilles ne se reproduisent plus». Ainsi a réagi mercredi Ahmed Bounaceur, qui a perdu quatre membres de sa famille lors de la tempête Xynthia, dans sa maison située dans la cuvette mortifère de la Faute-sur-Mer (Vendée), le 28 février 2010. Contacté par Libération, le médecin venait d’être informé des réquisitions de Gilbert Lafaye, le procureur de la République des Sables-d’Olonne, où se tient le procès.

Submersion. Durant son exposé, le magistrat a pointé la «frénésie immobilière» et l’«urbanisation à outrance» qui s’étaient emparées des élus de cette commune balnéaire vendéenne, où des centaines de maisons ont été construites sur des terrains situés dans une cuvette et exposées à des risques de submersion marine. Xynthia a fait 29 morts, dont bon nombre parmi les habitants de ces maisons : beaucoup étaient venus y passer le week-end quand la tempête a frappé.

Mercredi le procureur a requis quatre ans de prison dont trois ferme et 30 000 euros d’amende à l’encontre de René Marratier, maire de la commune de 1989 à 2014 qui comparaissait pour «homicides involontaires». Surnommé le «roi René» par certains habitants de sa commune à l’époque de sa splendeur (sa liste avait raflé tous les sièges au conseil municipal), il s’était même présenté aux élections municipales de mars dernier, pour un cinquième mandat. Mais il a été battu par une liste de rassemblement conduite par Patrick Jouin, le maire actuel, qui avait fait une campagne axée sur la compassion à l’égard des familles des victimes et tracé des perspectives pour tourner la page de la gestion Marratier, qui s’est soldée par un désastre humain et urbain.

Concernant Françoise Babin, l’ancienne première adjointe en charge de l’urbanisme, le procureur a requis trois ans de prison dont deux ferme et 50 000 euros d’amende. Et aussi trois ans de prison, dont un an ferme et 50 000 euros d’amende à l’encontre de son fils Philippe Babin, agent immobilier et président d’une association tenue d’entretenir une digue censée protéger les lotissements de la cuvette contre les risques d’inondation. La famille Babin avait des intérêts bien compris à La Faute-sur-Mer. Le procureur a souligné que Françoise Babin «a été au summum du mélange des genres»,«propriétaire de terrains»,«vendeuse de terrains»,«gérante d’une agence immobilière»,«présidente de la commission d’urbanisme». Des enquêtes de Libération avaient mis en exergue ce mélange quelques semaines après le drame (lire Libération du 8 mars 2010).

Me Didier Seban, avocat de René Marratier a considéré que les réquisitions étaient«exorbitantes et disproportionnées». Il a dit que son client était «abasourdi».

«Exemplaire». L’Avif (Association des victimes des inondations de la Faute-sur-Mer), partie civile dans ce dossier a exprimé sa satisfaction. «Procès exemplaire demande de peine exemplaire» a réagi, Renaud Pinoit, le président de l’association, contacté par Libération. Le procureur n’a requis en revanche qu’un an avec sursis et 5 000 euros d’amende à l’égard d’Alain Jacobsoone, un fonctionnaire de l’Etat qui n’avait pas prévenu le maire des risques graves de la tempête. Un autre prévenu, Patrick Maslin, également ancien élu de l’équipe de René Marratier, est décédé fin septembre.

TONINO SERAFINI