
Philippe COUETTE – Didier Seban, avocat associé
Les intercommunalités se préparent à assumer la compétence « Gemapi » (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations). Une mutation génératrice d’inquiétudes nombreuses, explique l’avocat Didier Seban, qui dénonce une culture du risque déficiente en France.
De qui relève la prévention du risque inondations ?
Didier Seban : Aujourd’hui, elle est diluée entre toutes les collectivités territoriales et l’Etat. Cela va changer, car la loi « Maptam » du 27 janvier 2014 organise le transfert de la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) aux communes, qui devront aussitôt la transmettre aux intercommunalités. Initialement prévu pour le 1er janvier 2016, ce transfert devrait être repoussé à 2018 dans le cadre du vote de la loi « Notre », à la demande des associations d’élus. Ce ne serait pas du luxe, car la tâche est lourde pour les collectivités concernées ! Les intercommunalités sont en train d’évaluer qui fait quoi sur leur territoire, avant de pouvoir définir une nouvelle organisation en la matière.
L’échelon de l’intercommunalité est-il pertinent ?
D.S. : Il peut l’être, mais il faudrait pouvoir prendre en compte aussi des logiques de bassin. Par exemple, des mesures prises en amont d’un fleuve auront des répercussions sur l’aval… Les collectivités considèrent que ce devrait être à l’Etat de coordonner tout cela.
Ce transfert de la compétence Gemapi inquiète, pourquoi ?
D.S. : Le contexte est très anxiogène. Après la tempête Xynthia et ses suites pénales, les élus se demandent comment faire face à des responsabilités qu’ils n’ont pas les moyens, financiers notamment, d’assumer. Les collectivités ont l’impression que l’Etat se désengage. Par exemple, l’idée de créer un grand établissement public chargé de l’entretien des digues n’a pas été retenue. Or la question des digues est fort complexe : certaines appartiennent à l’Etat, d’autres à des propriétaires privés, d’autres à des structures intercommunales… La loi n’apporte pas de réponse claire sur comment seront gérés ces ouvrages de protection.
Une taxe Gemapi plafonnée à 40 euros par habitant peut certes être levée dans les collectivités concernées, mais elle risque d’être politiquement difficile à appliquer.
L’Etat reste pourtant présent au travers de l’élaboration des PPRI…
D.S. : Il a en effet toujours voulu garder sa compétence en la matière, au motif qu’il offrirait une meilleure résistance aux pressions locales. Les plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) sont élaborés sous l’autorité du préfet, en concertation avec les collectivités concernées. Ils peuvent imposer des contraintes fortes, en définissant des zones inconstructibles ou une cote minimale qui implique la réalisation de remblais dans certaines zones, etc. Le problème est que ces règles sont édictées par l’Etat, mais que ce sera ensuite aux intercommunalités de gérer le risque inondation. On émiette la prise en compte du risque…
Où en est-on en matière de PPRI, justement ?
D.S. : La couverture du territoire s’est accélérée depuis Xynthia, mais nous sommes encore très en retard. Dans beaucoup d’endroits, les PPRI sont seulement en cours d’élaboration. Malgré les drames, leur adoption se heurte encore à de fortes oppositions des habitants – qui veulent éviter la dépréciation de leur foncier-, et des collectivités – soucieuses du développement économique de leur territoire.
Les plans communaux de sauvegarde (PCS) jouent-ils un rôle important ?
D.S. : Leur élaboration s’impose aux maires lorsqu’un PPRI est approuvé. Il s’agit de décliner l’organisation des secours, les mesures de précaution en place pour faire face aux risques. Là encore, le mouvement de planification s’est accéléré depuis Xynthia, mais la question de l’efficacité de ces documents se pose. On multiplie les obligations purement administratives, mais on ne crée pas de culture du risque.
La culture du risque fait selon vous défaut en France ?
D.S. : Clairement, oui. La démarche de prévention est à géométrie très variable sur le territoire, elle est plus forte là où il y a eu des catastrophes, par exemple dans le Gard qui a subi de fortes inondations. De plus en France, on se prémunit de risques centenaux, là où nos voisins hollandais préviennent des risques millénaux… La situation s’améliore cependant. Depuis la tempête Xynthia, nombre de travaux de rehaussement, de contrôle des digues, etc. ont été entrepris, grâce notamment au fonds « Barnier » de prévention des risques naturels majeurs (qui dépensera 230 millions d’euros en 2015). Beaucoup reste à faire, d’autant plus que l’élévation du niveau de la mer accroît les risques de submersion marine. Cela crée d’ailleurs de nombreuses opportunités pour des BET spécialisés et pour les entreprises du BTP – à condition que les travaux puissent être financés, mais par qui ?
Faut-il simplifier les procédures d’autorisation pour la construction d’ouvrages de protection contre les inondations, comme le préconise le CGEDD dans un rapport du 18 mars ?
D.S. : Sans doute. La construction de tels ouvrages est soumise à de nombreuses contraintes et autorisations, au titre de la loi sur l’eau, de la protection de la biodiversité et des milieux aquatiques, etc. On perd beaucoup de temps alors que des vies humaines sont potentiellement en jeu. Il faudrait pouvoir construire plus vite, grâce à un système de guichet unique. Il est temps que le sujet devienne un problème de conscience partagé et plus seulement de risque administratif.
2 réponses à to “Didier Seban : « Des compétences transférées pour la prévention des inondations, mais sans les moyens financiers » (Lemoniteur.fr)”
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Moi, je sais pas vous, mais lire les déclarations de l’avocat de RM, nous expliquer tout ce qu’on doit savoir et comprendre pour assurer la sécurité de nos concitoyens en cas de danger, les bras m’en tombent !
voir également cet autre article de D.SEBAN :http://www.lagazettedescommunes.com/310443/apres-le-jugement-xynthia-de-vraies-raisons-dinquietude/
L’état oscille entre une décentralisation extrême avec responsabilité entière des maires en matière de droit à construire mais va (en 2018) confier la responsabilité des digues aux intercommunalités. Ces CoCom qui, dans la plupart des cas (et ce le cas pour nous ,ici) ne recouvrent pas la géographie d’un bassin hydrographique . De plus au sein même de l’intercommunalité les intérêts entre les communes dites « rétrolittorales » et ceux de la côte sont souvent très divergents : les unes ayant un souci de gérer les digues dans le seul but de gérer l’eau pour l’irrigation, les autres voulant des digues pour protéger les zones construites (ou à construire!) .Et que prédire sur l’acceptation par les contribuables des communes de l’intérieur quand on leur prélèvera la taxe DIGUES pour ces « nantis » de La Faute !!! Mais ce sera après les élections……..