
Le procès en appel pour juger de la responsabilité des responsables des conséquences dramatiques de la tempête Xynthia s’est terminé mercredi 2 décembre à Poitiers. Le jugement a été mis en délibéré et doit être rendu le 4 avril 2016. La tempête qui s’était déroulée en février 2010 avait entraîné 35 morts dont 29 sur la commune de La Faute-sur-Mer. Le maire de cette commune avait été condamné en décembre 2014 en première instance à quatre années d’emprisonnement ferme.
Des responsabilités diffuses
Les éléments apportés par le procès, tout comme la commission d’enquête conduite par le Sénat et publiée le 10 juin 2010, ont révélé que les responsabilités étaient beaucoup plus diffuses que celles présentées immédiatement après la catastrophe. Sans éluder la lourde part du maire de la commune de La Faute-sur-Mer, les débats, tout comme le rapport de la commission d’enquête, ont mis en avant une chaîne de responsabilité, un enchevêtrement d’acteurs et d’enjeux, en somme une absence totale de prévention et de contrôle. Invité à s’exprimer durant le procès le 25 novembre, le sénateur Alain Anziani qui fut le rapporteur de la commission d’enquête, a évoqué une « chaine de défaillances » et une « nébuleuse d’irresponsabilités ». Qu’il s’agisse de l’inégal entretien des digues, de l’absence de prévention du risque de submersion marine, d’une alerte météorologique défaillante, d’une mosaïque administrative dans les plans d’occupation des sols, tout était en place pour que la catastrophe éclate.
Les rapports d’enquête relativisent la responsabilité individuelle
Tout ceci apporte sans conteste une perspective nouvelle sur cette crise grave qui avait durant une longue semaine captée l’attention de la plupart des commentateurs politiques et économiques, ainsi que celle de nombreux médias. Mais en fait, ce que nous révèle ce procès ainsi que le rapport de la commission d’enquête sont-ils réellement nouveaux?
Professeur en gestion et communication de crise, nous avons étudié l’intégralité des rapports de commissions d’enquête sur une quinzaine de grandes crises, des crises anciennes comme celle du Titanic en 1912, la catastrophe du crash de l’Airbus au Mont Saint-Odile en 1992, celle de l’explosion de l’usine AZF en 2001 près de Toulouse, l’explosion de la plate-forme Deep Water dans le golfe du Mexique en 2010, l’affaire du Médiator et bien d’autres. Certaines crises pouvaient donner lieu à plusieurs travaux de commissions d’enquête, au total 19 rapports furent analysés. Nous avons retenu des crises de différente nature ; industrielles, de santé publique, liées à des phénomènes naturels, à des problématiques de transport.
L’étude de ces rapports permet d’obtenir un certain recul par rapport à ce que nous apprend le déroulement du procès des responsables des conséquences dramatiques de la tempête Xynthia.
L’élément essentiel, celui qui est dominant dans l’ensemble des crises ayant fait l’objet d’un rapport d’enquête, est que la place consacrée à la responsabilité individuelle est toujours très faible. Alors que le fonctionnement médiatique tend à la recherche immédiate d’un responsable, souvent présenté comme le bouc émissaire idéal, les rapports indiquent toujours une dilution des responsabilités et une incapacité des processus à prévenir la crise.
Série de dysfonctionnements
Quelle que soit la crise étudiée, le scénario de la crise est toujours le même ; elle est la résultante d’une série de dysfonctionnements larvés pour lesquels la faute d’un responsable n’est que l’acte déclencheur qui aurait eu toutes les chances d’intervenir tôt ou tard. Ces rapports nous laissent par ailleurs souvent sur notre faim tant nous persistons à nous demander comment de tels dysfonctionnements ont pu s’accumuler sans que personne n’ait pu rien y faire. Il est ainsi toujours plus aisé d’attribuer des signes préalables à un événement dont on connaît le résultat final. Elles se construisent donc sur des biais de reconstruction et leur cohérence tient souvent dans le talent des investigateurs à rendre compte que tout était déjà là, prêt à survenir. L’impression persiste alors que la crise ne relève jamais du hasard, qu’on aurait pu, aurait dû la voir venir. Ces reconstructions sous-entendent trop souvent la coupable ignorance de ceux qui savaient ou qui auraient pu savoir et qui n’ont rien fait ou dit.
La complexité des causes
Ceci introduit un décalage entre la perception ultra simplificatrice de la dynamique de crise et sa représentation médiatique, portant sur une causalité simple passant par la recherche du bouc émissaire, et la complexité des facteurs causaux recensés à chaque fois dans les rapports des commissions d’enquête.
Plutôt qu’une responsabilité unique, les procès et rapports nous indiquent que nous avons affaire à un patchwork mal cousu de causes distinctes évoluant dans des domaines non reliés : absence de contrôle administratif, règles juridiques complexes et éparses, responsabilités diluées, émergence de conditions externes défavorables qui se superposent sur une complexité technique.
Et tout ceci s’opère sans que l’ensemble ne soit piloté et que personne ne soit en mesure de reconstituer l’ensemble des éléments souvent fort épars du puzzle de la crise.
Des investigations à l’utilité… négligeable
Le deuxième élément que nous livrent les investigations post crises, et malheureusement le plus dramatique, est que leur utilité est négligeable. L’un des maîtres mots en gestion de crise est celui de la résilience, c’est-à-dire la capacité d’une organisation à revenir à la situation antérieure après un événement particulièrement grave. Il est nécessaire de dépasser cette vision dans une perspective plus constructive qui est simplement d’empêcher le renouvellement d’une crise semblable.
Comme l’indiquait quelque peu désabusé, le sénateur Louis Nègre, président d’une commission d’enquête en 2012 sur les inondations du Var, les rapports se suivent, se ressemblent souvent et finissent dans des placards, toujours. Et il est vrai que sur ce sujet des inondations, le nombre de rapports est assez hallucinant pour un résultat assez ridicule, surtout si on le replace dans une perspective historique où le volontarisme affiché au lendemain de la crise est balayé par les nouvelles actualités dans les semaines qui suivent. La citation d’Aldous Huxley, est dans le domaine de l’analyse des crises d’une cruelle actualité « La plus grande leçon de l’histoire est que les humains ne tirent pas les leçons de l’histoire. »
Thierry Libaert. Professeur des Universités en sciences de la communication, collaborateur scientifique à l’université catholique de Louvain.
Christophe Roux-Dufort
Professeur titulaire en gestion de crise. Faculté des Sciences de l’Administration de l’Université Laval
3 réponses à to “Xynthia, un procès pour rien (La Tribune)”
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Pour les personnes désireuses de s’informer voici le lien du document cité par Lafautakidon :
http://www.senat.fr/rap/r14-536/r14-5361.pdf
« Les éléments apportés par le procès, tout comme la commission d’enquête conduite par le Sénat et publiée le 10 juin 2010 »
Il semble que ces « chers professeurs », perdus dans leur science, aient oublié le rapport
n°536 rendu en juillet 2015 par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat.
Ce rapport a été présenté par les sénateurs François Calvet et Christian Manable, membres de cette commission.
Commission dont ne fait plus partie le sénateur Anziani, rapporteur de la mission de 2010.
Il semble que le sénateur Anziani n’ait même pas pris connaissance du travail de ces collègues.
Comment ces « chers professeurs » peuvent-ils s’étonner que les rapports ne soient pas suivis d’effets, puisque eux-mêmes les ignorent ?
Je ne connais pas le fond de tous les cas de catastrophes cités mais il me semble que beaucoup de ces rapports ne relèvent que le côté aléatoire de séries de disfonctionnements révélés par un arbre des causes tout en déplorant qu’au final il faille trouver un bouc émissaire.
Pour ma part et pour ce que j’en sais, je relève que les cas du Médiator, du crash de l’avion de German Wings et du système Marratier-Babin comportent le même type d’éléments délibérés et déterminants.
Ce qui est voulu, délibéré au sens de la justice, c’est justement de profiter des faiblesses ou erreurs d’une autorité ou de l’état, des complexités administratives, de négligences, etc. pour contourner les lois, règlements et procédures afin de parvenir à un but personnel. Ce but peut être de se suicider en punissant la société, d’assoir un pouvoir ou plus communément pour un profit financier.
Après les catastrophes, on essaie de remédier aux failles, mais à ce jeu là l’imagination humaine a toujours un point d’avance pour parvenir à ses fins. Tant qu’il n’y a pas des morts pour déclencher une enquête, il est quasiment impossible de sanctionner efficacement les fauteurs. Ces enquêtes préliminaires éventuellement suivies de garde à vue et de mise en examen n’ont rien à voir avec la recherche à tout prix d’un responsable comme cela a été si souvent dit.
Les prévenus continuerons à se justifier en rejetant la faute sur les multitudes de disfonctionnements, qu’au passage ils n’ont pas cherché à corriger, et dont ils ont su justement tirer parti et ayant finalement permis d’aboutir à la catastrophe. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être considérés comme des bouc émissaires et que seules des sanctions exemplaires peuvent éventuellement décourager ou tout au moins freiner les ardeurs de ceux qui voudraient se lancer dans les mêmes voies.